Celle qui rêvait d’apprendre à lire.

بِسْمِ اللهِ وَالْحَمْدُ للهِ وَ الصَّلَاةُ وَ السَّلَامُ عَلَى رَسُولِ اللهِ

C’est tout excitée qu’elle s’est levée ce matin-là alors que le soleil se levait à peine. On entendait encore le chant du coq. Elle s’est vite habillée et est partie en courant à l’école du village. Elle avait entre 6 et 8 ans, elle n’est plus trop sûre. Elle se souvient seulement qu’elle n’avait qu’une hâte, c’était d’apprendre à lire comme les grands. Pourtant, ce matin-là, le jour de son « premier jour d’école », à peine la matinée commencée, alors qu’elle écoutait attentivement les explications du maître, son père surgit dans la classe : « Viens Batoul, rentre à la maison, ta mère a besoin de toi, tu n’as rien à faire à l’école! ». Son père était d’une grande douceur, il lui dit ces mots calmement, simplement pour lui. Comme pour les hommes de sa famille avant lui, cela ne servait à rien pour une femme d’aller à l’école. C’était ainsi que les choses devaient être. Elle rentra, les yeux remplis de larmes à la maison avec son père, qui lui caressait la tête, l’implorant d’arrêter de pleurer. Il était tellement fier d’elle ! C’était un de ses enfants préférés. Abdel Salam aimait tous ses enfants, mais Batoul tenait une place particulière dans son cœur. Malgré le fait qu’elle savait qu’elle n’apprendrait peut-être jamais à lire, Batoul vécut une enfance heureuse grâce aux parents aimants qu’Allah lui avait donnés.

Elle grandit donc dans cette maison, au milieu de la campagne marocaine, dans une région agraire encore touchée par la colonisation française. Elle était la 3ème d’une fratrie de 7 enfants. Elle était certainement la plus dégourdie d’entre eux, celle sur qui tous pouvaient compter. Chaque jour, elle trayait la vache, préparait la pâte à pain et la cuisait après avoir allumé le feu, balayait la cour, faisait du beurre avec le lait, préparait du thé à la menthe, posait le beurre sur le pain tout chaud sorti du four en terre, et le posait devant sa mère qui avait pour habitude de faire une pause en milieu de matinée. Elle avait une relation fusionnelle avec sa mère Rahma. Elle était son bras droit, la deuxième figure maternelle de la maison et cela jusqu’au jour de son décès, qu’Allah lui fasse miséricorde.

Les journées était longues dans la campagne marocaine des années 60. Les maisons, pour la plupart construites par les propriétaires eux-mêmes, ne disposaient pas encore de l’électricité. À la nuit tombée, c’est à la bougie, puis à la bouteille de gaz qu’il fallait s’éclairer. Batoul grandit en comprenant la valeur des choses puisqu’elle passait ses journées à travailler dur pour les obtenir. Elle apprit la couture, la broderie, le crochet, elle savait faire de la laine, du lait fermenté, faire accoucher une brebis, tanner une peau de mouton et que sais-je encore ! Elle avait soif d’apprendre et était douée dans tout ce qu’elle entreprenait. Pourtant, elle ne savait pas lire et en rêvait secrètement ! Elle ne désespérait pas d’y arriver un jour et dès que ses frères rentraient de l’école, elle les écoutait faire leurs devoirs, allant même jusqu’à lire au-dessus de leurs épaules, essayant de répéter tout ce qu’ils disaient.

À 17 ans, on lui choisit un mari. Elle débuta une vie de couple normale pour les gens de l’époque, dans une campagne voisine. Là-bas aussi, les journées étaient longues, surtout parce qu’en plus des contraintes de la vie de l’époque (sans électricité ni eau courante), son mari tenait une boucherie. Chaque matin, elle allait à la rivière un peu plus bas en tirant l’ânesse pour aller puiser de l’eau. Elle revenait à la maison, préparait les couteaux et le matériel dont son mari avait besoin pour égorger les moutons qu’il vendrait à la boucherie. Puis, elle continuait sa journée en accomplissant les mêmes tâches que celles de sa maison d’enfance : nettoyer, soigner les bêtes, préparer le pain et le repas … .

Son mari savait lire lui, il avait été à l’école jusqu’à l’équivalent de la 6ème (donc jusqu’à l’âge de 12 ans à peu près). Cela lui était d’une grande aide dans le cadre de son commerce. Batoul aurait tant aimé qu’il lui apprenne à lire, mais jamais elle n’eut le courage de lui demander.

La vie suivit son cours et ce couple décida de partir vivre en France avec leurs 4 enfants. La vie en France était tellement différente de celle qu’elle avait vécue dans sa douce campagne. Elle n’entendait plus le coq, ni l’âne ou les moutons bêler. Elle n’avait plus besoin de bougie le soir venu. Elle était heureuse et triste à la fois. Heureuse de découvrir un nouveau pays, mais tellement triste d’être loin de sa famille et de son pays. Elle scrutait souvent l’horizon du 5ème étage de la tour dans laquelle elle vivait désormais, se demandant si sa mère avait déjà cuit le pain.

Le quotidien en France était différent de ce qu’elle avait vécu jusqu’ici. Maintenant, elle avait l’eau et l’électricité et ne passait pas des heures chaque jour au puits et à laver le linge. Son mari passait ses journées au travail et, lorsqu’il avait un moment de libre, il s’occupait des démarches administratives avec l’aide de sa fille aînée de 9 ans qui les aidait comme elle le pouvait pour remplir les papiers, lire les courriers reçus. Batoul désirait tellement, elle aussi pouvoir comprendre tout cela et alléger les responsabilités de son mari. Régulièrement, elle se jetait à l’eau et allait à la boulangerie toute seule par exemple. La première fois, elle demanda à sa fille, qui parlait déjà bien le français ce qu’il fallait dire pour acheter une baguette et de la levure. Tout le long du chemin elle ne cessait de répéter : « Bonjour, une baguette, la levure ». Ce jour-là, elle rentra toute fière à la maison, heureuse d’avoir réussi à faire son premier achat seule en France, et en français. Elle n’avait qu’une envie, apprendre à lire ! Elle ne le savait pas encore, mais cette opportunité allait bientôt se présenter à elle avec l’aide d’Allah . Une association dédiée aux femmes ouvrit dans son quartier et Batoul eut enfin l’opportunité d’aller à « l’école »! Elle apprit à lire le français avant l’arabe, vous le croyez ça ! À son arrivée en France, elle ne parlait pas un mot de français, mais comme à son habitude, elle décida d’apprendre et réussit, en quelques années à peine, à comprendre, à se faire comprendre et surtout à lire !

Le plus drôle dans cette situation est qu’elle profitait également de l’apprentissage de ses enfants qui entraient à l’école primaire à la même période. Souvent, ils faisaient leurs devoirs ensemble !

Elle savait écrire son nom et son prénom et maintenant, quand elle signait un document, ce n’est plus une petite croix qu’elle dessinait, mais un B majestueux surmonté de sa virgule ! Elle était tellement fière ! Elle était parmi les femmes les plus douées de l’association dans laquelle elle étudiait. La plupart se décourageaient rapidement et abandonnaient au bout de quelques semaines. Ce n’était pas le genre de Batoul, elle en avait vu d’autres et elle attendait ce moment depuis si longtemps qu’elle était bien décidée à ne pas laisser son rêve de petite fille lui filer entre les doigts.

Apprendre à lire le français c’était bien, mais ce qu’elle désirait par-dessus tout c’était : réussir à lire le Coran. Elle se disait que tout comme elle avait réussi à apprendre à lire une langue dont elle ne connaissait aucun mot, elle devait absolument apprendre à lire sa langue maternelle qui était la langue du Coran. À l’époque, dans les années 80, il y avait peu de mosquées. Dans sa ville, 2 mosquées avaient ouvert, mais elles ne proposaient pas de cours pour les femmes, seulement pour les enfants. Elle attendit donc patiemment, implorant Allah dans ses prières de lui permettre, ainsi qu’à ses enfants de connaître et mettre en pratique sa parole. Elle était très consciencieuse dans l’éducation religieuse de ses enfants et ne passait pas une journée sans les enjoindre à la prière comme l’avait fait son père pour elle dans son enfance. Elle avait hérité cela de lui -qu’Allah lui fasse miséricorde et lui élargisse sa tombe-, la prière était un pilier dans sa famille et elle comptait bien en faire de même pour ses enfants ; leur faire prendre conscience de l’importance de cette adoration.

Les années passèrent, les enfants grandirent, et toujours pas de cours pour les femmes à la mosquée. Batoul avait une quarantaine d’années et ne savait toujours pas lire la langue qu’elle parlait pourtant tous les jours. Lassés par la situation, de petits groupes de femmes, qui étaient dans la même situation, commencèrent à s’organiser entre elles. L’une d’entre elles, qui avait eu l’opportunité d’étudier dans son pays d’origine, leur proposa de leur apprendre l’arabe et le Coran, Al hamduliLlah ! Elles décidèrent donc de se regrouper chaque semaine, à tour de rôle dans leurs appartements respectifs. Batoul était ravie, ça y est son rêve de petite fille se réalisait ! Elle faisait son possible pour être assidue, et malgré les épreuves de la vie et les difficultés qu’elle rencontrait en apprenant à un âge avancé, elle ne se décourageait pas. Elle commença donc à apprendre les Hourouf (lettres arabes), à écouter le Coran à la maison pour réussir à réciter ce que son professeur lui avait demandé d’apprendre. Pendant les cours, elle écoutait attentivement ses « camarades », elles aussi des mamans d’une quarantaine d’années, faire tous les efforts du monde pour prononcer les mots correctement. Ces femmes s’encourageaient les unes les autres et étaient tellement motivées pour apprendre à lire le Coran et se rapprocher de leur Seigneur – Le très Haut- !

Cela fait maintenant plus de 20 ans que cette femme, aimée par tous ceux qui la rencontrent, au premier contact, ne cesse de faire des efforts pour se rapprocher de son Seigneur et obtenir Son agrément. Elle saisit toutes les opportunités qui s’offrent à elle pour apprendre. Elle suit les cours qui sont désormais organisés à la mosquée, apprend avec ses enfants, écoute des rappels sur sa tablette, et tant d’autres actions que nous ne citerons pas ici pour qu’elles restent entre elle et Le très Haut. Ayant réussi à transmettre cette amour pour Allah et notre belle religion à ses enfants, c’est également avec eux qu’elle a énormément avancé dans la lecture du Coran. 3 de ses filles enseignent le Coran et elle n’hésite pas a profiter de leur cours. Si vous voyez une dame d’un certaine âge au milieu d’enfants d’une dizaine d’années, c’est certainement elle ! Elle a soif d’apprendre et saisit toutes les occasions d’apprendre qui se présentent à elle Allahi barik 3aleyha !! Quel exemple ! Combien de personnes, à la fierté mal placée considéreraient cela comme un rabaissement d’apprendre de ses enfants ou de se mélanger à des personnes plus jeunes pour apprendre ! Ce n’est pas le cas de cette sœur assoiffée de savoir, qui considère l’apprentissage comme un honneur qui n’est pas donné à tous. Elle le dit elle-même : « C’est avec mes enfants que j’ai appris ma religion walhamduLilah ! ».

Elle a même été jusqu’à effectuer plusieurs séjours en Égypte dans le village de Cheikh Raslan -HafidahuLlah- notamment, pour améliorer son niveau en arabe et en récitation du Coran. À chaque fois qu’elle va au Maroc, elle essaie de rejoindre la halqa (groupe) de mémorisation du Coran qui a ouvert dans la mosquée en face de sa maison. Aujourd’hui, à plus de 60 ans, elle est capable de lire le Coran et le mémorise. Son rêve : le mémoriser en entier avant qu’Allah ne la rappelle à Lui.

Sachez que Batoul n’est autre que ma mère, je l’aime tellement et suis tellement fière de son parcours et de ses efforts, que je tenais à partager cela avec les lecteurs de memo-rise. Allah m’a accordée une mère formidable, forte, qui a su m’inculquer, ainsi qu’à mes frères et sœurs, ce qui importe réellement : la recherche de l’agrément d’Allah. Je Le remercie chaque jours pour cela.

Sachez également que Batoul, c’est notre mère à tous, nous avons tous une Batoul autour de nous, une mère, une tante, une femme de notre famille. Racontez-lui cette histoire, dites-lui bien qu’Allah est capable de tout et qu’elle ne doit pas se décourager. Rappelez-lui ce hadith:

D’après Aicha (qu’Allah l’agrée), le Prophète a dit: « Celui qui récite le Coran parfaitement est avec les généreux anges et celui qui le lit avec difficulté a deux récompenses ». (Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°4937 et Mouslim dans son Sahih n°798 et ces mots sont ceux de Abou Daoud dans ses Sounan n°1454)


عن عائشة رضي الله عنها قال رسول الله صلى الله عليه و سلم : الذي يقرأ القرآن وهو ماهر به مع السفرة الكرام البررة والذي يقرؤه وهو يشتد عليه فله أجران 
(
رواه البخاري في صحيحه رقم ٤٩٣٧ و مسلم في صحيحه رقم ٧٩٨ و اللفظ لأبي داود في سننه رقم 

Allahou Akbar, deux récompenses pour celui qui lit avec difficulté ! Quoi qu’il arrive, il n’y a que du Ajr ! Combien de personnes, hommes ou femmes, ont réussi à lire le Coran à un âge tardif avec l’aide d’Allah ! Lorsque l’on recherche l’agrément de notre Seigneur, Il nous facilite par des endroits que nous n’aurions jamais suspectés. L’essentiel est de Lui demander son aide et de faire des efforts. Allah ne dit-il pas dans son Noble Livre :

« C’est Toi [Seul] que nous adorons, et c’est Toi [Seul] dont nous implorons secours. » sourate Al Fatiha, verset 5.


N’hésitez pas, vous qui savez lire l’arabe et êtes capables de psalmodier le Coran, à aider ces personnes qui ont passé l’âge d’aller à l’école, à apprendre à lire. Vous aurez également une grande récompense pour cela et voir leur persévérance vous encouragera certainement dans votre parcours. Nos aînés sont des modèles que nous ne devons pas négliger et qui méritent notre attention. Ils nous ont élevés, se sont privés pour que nous ne manquions de rien. À nous de nous occuper d’eux maintenant en les aidant à multiplier leurs bonnes actions !

Qu’Allah fasse Miséricorde à Abdel Salam et Rahma, les parents de Batoul et mes grands-parents! Qu’Il leur élargisse leurs tombes et leur accorde le Firdaws pour avoir laissé derrière eux des enfants pieux qui invoquent en leur faveur et éduquent eux-mêmes leurs enfants sur la droiture. Comme nous le rappelle ce hadith de notre Prophète bien aimé , cela fait partie des œuvres qui nous profitent après la mort : « Quand le fils d’Adam meurt, son œuvre s’arrête sauf dans trois choses : une aumône continue, une science dont les gens tirent profit, un enfant pieux qui invoque pour lui. ». Rapporté par Muslim. Hadith n°1383 dans Riyâdh As-Sâlihîn 

Qu’Allah récompense Batoul de la meilleure des manières et qu’Il la réunisse au Firdaws avec tous les membres de sa famille. Qu’Il lui permette également de continuer à être constante dans la lecture du Saint Coran et l’évocation de son Seigneur, à elle, ainsi qu’à toutes ces mamans qui font des efforts pour se rapprocher du très Haut malgré les difficultés qu’elles rencontrent. Vous êtes des exemples qu’Allah a mis sur notre chemin pour nous motiver, pour nous faire prendre conscience des facilités qui nous ont été données, nous qui avons pu bénéficier d’une instruction.

سُبْحَانَكَ اللَّهُمَّ وَبِحَمْدِكَ، أَشْهَدُ أَنْ لا إِلَهَ إِلا أَنْتَ، أَسْتَغْفِرُكَ وَأَتُوبُ إِلَيْكَ