◈L’apprentissage du Coran en Égypte : entretien avec une mouhajirah

بِسْمِ اللهِ وَالْحَمْدُ للهِ وَ الصَّلَاةُ وَ السَّلَامُ عَلَى رَسُولِ اللهِ

Assalamou ‘aleyki wa rahmatuLlah, tout d’abord, merci d’accorder à memo-rise cette entrevue, peux-tu te présenter brièvement ?

Wa 3aleyki salam wa rahmatuLlah. Je suis une sœur qui a grandi en France et qui s’est installée en Égypte quelques années après s’être mariée. AlhamduLilah mes enfants ont donc passé la majeure partie de leur enfance dans ce pays dans lequel nous vivons toujours d’ailleurs .

Donc tes enfants suivent le cursus scolaire égyptien ?

Oui, et je leur ajoute en parallèle les matières principales du cursus français car je trouve que c’est important de pouvoir parler plusieurs langues et d’être capable de développer des connaissances de différentes manières.

C’est très intéressant, mais du coup en suivant un double cursus, ils avaient quand même le temps pour l’apprentissage du Coran?

Disons que ce qui est intéressant et que j’apprécie beaucoup en Égypte, c’est le fait que l’école c’est le matin, entre 9h et 14h, ce qui nous laisse tout l’après-midi pour faire d’autres choses. Sachant que justement, les égyptiens ont l’habitude de rentrer chez eux faire leur devoir et d’aller chez le Koutab pour l’apprentissage du Coran.

Le Koutab, qu’est-ce que c’est ?

Le Koutab, c’est une sorte d’école coranique où les enfants se rendent après l’école. Ça peut être dans des locaux comme de simples appartements ou de petits bâtiments qui ressemblent à des écoles. Les locaux sont très simples, il y a des tapis sur le sol, de petites tables individuelles et des tableaux pour écrire accrochés au mur de façon à ce que les enfants ne soient pas distraits. Les enfants sont assis sur le sol, les jambes croisées devant leurs petites tables. Et en fait, le Coran est tellement important en Égypte qu’ils y consacrent une bonne partie de leurs journées.

Ah oui ? Et donc comment s’organisent ces fameux Koutab ?

On peut inscrire les enfants au Koutab à partir du moment où ils savent lire, c’est-à-dire aux alentours de l’âge de 6 ans. Les enseignants sont tous des houfad, c’est-à-dire qu’ils connaissent le Coran par cœur bien entendu et ont des ijaza pour la plupart. Il y a des professeurs femmes et hommes. Les femmes s’occupent des filles et éventuellement des garçons non pubères et les hommes s’occupent des garçons et adolescents.

Des Ijaza, qu’est-ce que c’est ?

Une Ijaza, c’est un diplôme qui certifie qu’une personne a fini de mémoriser le Coran en entier, avec tajwid et selon une chaîne de transmission qui remonte au Prophète . C’est-à-dire que le professeur a appris le Coran d’un Cheikh qui a lui-même une ijaza d’un autre Cheikh et ceci remonte jusqu’au messager d’Allah . On ne donne pas une ijaza à n’importe qui, c’est une grande responsabilité pour le savant qui la donne à son élève. Ces professeurs ont aussi des ijaza dans d’autres matières en rapport avec le Coran comme certaines poésies qui résument des règles de récitation et de tajwid.

Et ces cours, sont-ils gratuits ?

Non, ils sont payants mais pas chers du tout. Et en général, en fonction des locaux ou du nombre de professeurs, des classes de 10 à 50 élèves sont ouvertes. Certains Koutab, par exemple, n’ont qu’une salle à leur disposition, ils n’accueilleront donc pas autant d’élèves qu’un koutab qui a des locaux plus grands.

D’accord, et concrètement comment se déroule l’apprentissage du Coran des enfants ?

Alors pour les enfants qui commencent aux alentours de 5/6 ans, leur évolution est progressive. Ils commencent par apprendre sourate Al Fatiha, puis débutent leur mémorisation en partant de sourate An-Nas, donc par la fin du Coran. Chaque jour, ils mémorisent un verset, puis 2, puis 3, puis une ligne, puis 2, et ainsi de suite jusqu’à arriver à une page ou plus de mémorisation par jour lorsqu’ils sont plus âgés. Le professeur donne un programme personnalisé à chaque élève en fonction de son histoire, de sa capacité, de son âge et de la vie qu’il mène. Par exemple il ne donnera pas 3 lignes à apprendre à un petit de 6 ans qui vient juste d’apprendre à lire, et il pourra donner une page à un autre de 10 ans qui a des facilités et qui apprend depuis déjà plusieurs années.

Donc, pour résumer au niveau de la mémorisation, on peut dire qu’elle est progressive : plus l’enfant est à l’aise, plus la quantité augmente ?

Oui, c’est exactement ça. C’est vraiment important de procéder ainsi pour ne pas surcharger l’enfant et qu’il se décourage. Et en réalité, c’est une méthode qui est également valable pour les adolescents et les adultes. D’ailleurs, j’ai moi-même pris des cours dans un Koutab pour femmes. C’est vraiment pratique car ils ouvrent quand les enfants sont à l’école et appliquent la même méthodologie. Il y a des femmes très âgées Allahi barik, c’est impressionnant et motivant de voir des personnes, qui étaient souvent analphabètes et qui arrivent à apprendre le Coran par cœur à cet âge avancé. Comme quoi, lorsque l’on met de la volonté on peut y arriver subhanaLlah ! Les femmes y passent en général toute la matinée.

Justement en parlant de l’oubli, qu’en est-il de la révision ?

La révision, ou mouraaja3ah en arabe, est très importante dans les koutab en Égypte, je dirais même qu’elle est plus importante que la mémorisation. Les enfants sont des éponges, apprendre ce n’est pas trop un soucis. Mes enfants sont en contact avec d’autres qui peuvent apprendre une page en 30 minutes. Par contre, retenir tout ce qui a été mémorisé c’est vraiment du boulot Allahi barik ! Et en ce qui concerne mes enfants, ils passent beaucoup plus de temps dans la révision que dans l’apprentissage du Coran. Du coup, chaque jour, ils ont des pages à réviser et cette révision augmente elle aussi avec le temps. C’est-à-dire que plus l’enfant a mémorisé, plus il aura de révisions qui s’étaleront sur plusieurs jours.

Pour que vous compreniez bien comment cela se passe, disons par exemple que si un enfant est en train d’apprendre sourate At-Tariq, il vient de finir le dernier Hizb du Coran (la dernière partie), son professeur divisera ce hizb en 2, 3 ou 4 parties, et chaque jour l’enfant devra réviser une partie de ce hizb de manière cyclique. Donc, tous les 2, 3 ou 4 jours il aura lu et révisé ce qu’il a déjà mémorisé. Ce qui veut dire que plus la quantité de Coran mémorisée augmente, plus la quantité de révision augmente.

Ok, donc au début de son apprentissage l’enfant n’aura que quelques pages à réviser et au fur et à mesure il devra réviser un Hizb, puis 2 et même plus jusqu’à ce qu’il termine la mémorisation du Coran en entier. En gros

[bctt tweet= »la révision du Coran est elle aussi graduelle comme la mémorisation » username= »Memo_Rise_QURAN »], mais également cyclique, c’est bien ça ?

Oui, c’est tout à fait ça et quand on a compris cela, on comprend le travail de fond que l’on doit faire par rapport à la révision. Il n’y a pas le choix, si on veut raffermir la mémorisation du Coran, il ne faut surtout pas négliger la révision. À mon sens, c’est réellement la clé d’un apprentissage du Coran efficace, qui ne s’oubliera pas facilement.

En plus, une technique que les égyptiens utilisent et qui marche réellement, c’est le fait de réviser pendant plusieurs jours d’affilée ce qui vient juste d’être appris. Par exemple, pour reprendre l’exemple de l’enfant qui est en train d’apprendre sourate At-Tariq, le professeur lui fera réviser tout les jours sourate Al A3laa pendant toute la période durant laquelle il apprend la nouvelle sourate. Cette technique lui permettra de sécuriser Al A3laa pendant la mémorisation de At-Tariq, et lorsque cette sourate sera incluse dans un cycle de révision plus important, il s’agira simplement de l’entretenir.

C’est un peu technique à comprendre mais une fois qu’on a compris le truc c’est simple.

Oui, justement est-ce que tu peux nous décrire la séance de Coran type de tes enfants pour que l’on puisse bien comprendre comment cette méthode d’apprentissage du Coran fonctionne ?

Oui, bien sûr. Alors en général, mes enfants commencent par faire leur hifd, leur mémorisation, de préférence le matin à la maison car c’est le meilleur moment pour apprendre. Ils ont le temps d’apprendre avant d’aller à l’école. Cela leur prendra entre 15 à 45 minutes en fonction de ce qu’ils ont à mémoriser. Ensuite, l’après-midi, ils vont au Koutab et y restent entre une et deux heures et parfois plus, pour faire leur « mouraaja3ah », leur révision, et se testent les uns les autres. Chaque enfant teste son camarade et lorsqu’ils sentent qu’ils ont bien révisé et qu’ils sont prêts, ils se présentent devant leur professeur pour réciter ce qu’ils ont appris et ce qu’ils ont révisé. Si le professeur estime qu’ils ont travaillé comme il fallait, il leur donne leur programme du lendemain et ils peuvent rentrer chez eux, et si ce n’est pas le cas, ils restent au koutab et continuent à réviser. Tout cela en sachant que si, à la fin de la séance, leur mémorisation et leur révision ne sont pas assez corrects, le professeur ne les fait pas passer à la suite. Il devront réciter la même chose le lendemain.

En même temps qu’il vérifie la mémorisation et la révision, l’enseignant en profite pour corriger les éventuelles fautes de prononciation ou de tajwid. Il leur donne également des explications rapides quant aux différentes règles de récitation. Chaque jour, l’enfant apprend à devenir de plus en plus autonome par rapport à son apprentissage. Il est responsable de lui-même, il teste ses camarades et c’est lui qui va vers son professeur lorsqu’il se sent prêt. Et vraiment, l’ambiance qui règne dans ce genre d’école est vraiment propice à l’apprentissage, le fait qu’il y ait beaucoup d’enfant est une motivation supplémentaire Allahi barik !

Est-ce que tu peux nous dire si, grâce à cette méthode, tes enfants sont des houfad ? Ont-ils fini d’apprendre la totalité du Coran ?

AlhamduLilah, par la grâce d’Allah , un de mes enfants a réussi à terminer la mémorisation entière du Coran à l’âge de 10 ans, l’autre y travaille encore et il est sur la bonne voie. Je suis très contente qu’il ait réussi mais c’est le début du voyage car justement, la révision du Coran en réalité c’est à vie. AlhamduliLlah, mon enfant n’a plus de mémorisation à faire mais il continue de réviser le Coran tous les jours pour ne pas perdre ce qu’il a appris. Et je vous assure que si ce travail de révision n’est pas effectué, ça peut gâcher tout ce qui a été fait avant.

Quel conseil pourrais-tu donner aux parents qui désirent également que le Coran soit une priorité pour leur famille mais qui n’auraient pas d’aide comme les koutab ?

En fait, alhamduLilah, la vie en Égypte nous a facilité l’apprentissage du Coran par la grâce d’Allah pour nos enfants notamment grâce au Koutab, mais je pense que le plus important c’est la vie de famille et le fait de réussir à faire prendre conscience à nos enfants que le Coran est la chose la plus importante dans la vie du musulman. Ça commence par exemple avec le fait d’être un exemple pour nos enfants en tant que parents et de tout simplement lire et apprendre le Coran devant eux.

Ensuite, je sais que la vie en France n’est pas forcement pratique pour les élever avec cette mentalité, mais je pense que c’est quand même possible. D’ailleurs, je connais des familles dont les enfants suivent une scolarité dite normale en France et qui ont réussi à mémoriser le Coran en entier. Je pense que c’est une question de motivation, de prise de conscience de chacun de l’importance du Coran. SubhanaLlah, nos enfants passent des heures devant des dessins animés ou des jeux alors qu’ils pourraient, si nous en tant que parents nous leur montrions l’exemple et nous les y encouragions, consacrer ne serait-ce qu’une heure par jour à la parole d’Allah . Donc mon conseil serait simplement de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour, quelle que soit la vie que nous menons, consacrer ne serait-ce que quelques minutes par jour à la parole d’Allah . Et pour arriver à cela, il faut d’abord que nous, en tant qu’adultes et parents, nous réformions et montrions le bon exemple. Il faut surtout ne jamais baisser les bras et comprendre que cette technique utilisée en Égypte est applicable dans nos foyers. Les parents peuvent eux-mêmes tenir un carnet de suivi et encadrer leurs enfants dans l’apprentissage du Coran. Il faut qu’on se disent que nous sommes capables de faire un travail quotidien avec nos familles, aussi minime soit-il.

JazakiLlahu kheir ma sœur pour avoir partagé avec nous ton expérience ainsi que tes conseils. Cela est vraiment enrichissant de voir que des personnes ont réussi à faire du Coran la priorité de leur vie et de celle de leur famille. Cela nous encourage à essayer nous-mêmes et nous fait prendre conscience que si on place sa confiance en Allah – Le très Haut- et que l’on fait les causes, tout est possible !

Wa ant JazakiLlahu kheir de m’avoir permis de partager mon humble expérience avec mes frères et mes sœurs. Je serais tellement contente si mon témoignage aidait ne serait-ce qu’une personne ! Je demande à Allah سُبْحَانَهُ وَتَعَالَىٰ de compter cette action sur notre balance au Jour de la Résurrection. Il ne faut jamais se décourager et toujours placer sa confiance en Lui !

سُبْحَانَكَ اللَّهُمَّ وَبِحَمْدِكَ، أَشْهَدُ أَنْ لا إِلَهَ إِلا أَنْتَ، أَسْتَغْفِرُكَ وَأَتُوبُ إِلَيْكَ

.Pour télécharger « Le Coran … Ma priorité » c’est par ici insha Allah